
Les marchés financiers sont dirigés depuis l’été 2015 par les anticipations relatives à trois variables clefs:
- la dynamique de la croissance chinoise,
- l’évolution du prix du pétrole,
- l’orientation de la politique monétaire américaine.
Si la prudence de la FED est bien intégrée et ne semble laisser peu de place à l’incertitude (le resserrement monétaire de la politique américaine en année électorale sera modéré et progressif, de l’ordre de 25 points de base d’ici la fin de l’année afin d’accompagner la progression modérée des salaires), en revanche la cécité actuelle des investisseurs à l’égard de la recrudescence de la croissance chinoise, accueillie très positivement, est davantage surprenante.
1/ Pusillanimes, les investisseurs renouent avec l’optimisme sur la base d’un malentendu à l’égard de l’activité économique en Chine.
La croissance chinoise au cours de ce premier semestre de l’année rebondit (tous les indicateurs en témoignent: consommation, immobilier, investissement,…) mais pour des raisons totalement artificielles: le crédit bancaire et les dépenses publiques expliquent la totalité de cette reprise de croissance !
Si l’on peut s’en réjouir car elle a probablement interrompu la spirale déflationniste qui s’initiait en début d’année sur les marchés financiers et au niveau du commerce internationale, cette politique ne fait que renouer avec les périls engendrés par la politique économique chinoise des dernières années en nourrissant des bulles spéculatives immobilière et bancaire. Les hausses de 20% des ventes immobilières et de dépenses publiques enregistrées au premier trimestre de cette année permettent d’occulter les affres de la déflation à court terme mais ne favorisent pas la transition de l’économie chinoise vers le nouveau modèle recherché officiellement.
Il est symptomatique de constater que plus l’inertie prévaut en matière de politique économique, plus l’emprise politique de Xi Jinping se renforce et s’affirme. La « main de fer » politique se resserre davantage mais la machine économique se bloque et s’ancre dans ses mauvaises habitudes, ie le recours abusif à la relance purement keynésienne qui ne fait que différer la résolution des difficultés économiques structurelles chinoises (compétitivité insuffisante, surcapacité industrielle, bulles immobilière et bancaire).
2/ Saisie par l’urgence, l’activisme saoudien offre un contraste entre une politique étrangère contre productive et une volonté officielle de réformes économiques domestiques ambitieuses et nécessaires.
L’activisme du Prince héritier Ben Salman présente une permanence tant sur le front de la politique étrangère que sur celle de la politique économique: elle est dynamique et hautement risquée.
Autant je suis dubitatif sur les conséquences de la politique menée en matière de relations internationales depuis une année, autant celles qui devraient découler des annonces du 25 avril me semblent nécessaires pour dynamiser l’économie rentière saoudienne.
Convaincue d’être prise en tenaille par son ennemi chiite perse (au Sud, par la menace houthiste yéménite, au Nord-Ouest par un Irak chiite, au Nord par la présence du Hezbollah libanais et par la présence combattante iranienne en Syrie) et par le sentiment – objectivement justifié depuis le 11/09/2001 – d’une dégradation de la relation de confiance avec son protecteur américain, le pouvoir saoudien s’est lancé dans une politique étrangère d’inflexions tous azimuts qui présente un caractère brouillon et à ce jour contre-productif:
- intervention militaire au Yémen d’une brutalité inouïe sans résultats concrets positifs pour ses intérêts,
- ruptures des relation diplomatiques avec l’Iran, de ses liens avec ses alliées sunnites au Liban,
- ébauche de détente avec la Russie (via l’achat d’armements et d’investissements économiques) en contradiction avec les positions sur le pétrole et sur la Syrie entre les deux pays,
- émergence de rapprochement avec Israël motivé par la montée en puissance de l’ennemi commun iranien mais difficilement mobilisateur pour ses concitoyens,…
La phase de transition générationnelle que connait le pouvoir saoudien s’accompagne de remise en question des alliances traditionnelles de ce pays, aux conséquences potentielles géopolitiques importantes, mais également de la volonté affichée de changer les fondamentaux du modèle économique saoudien.
Alors que le royaume Wahhabite a affiché un déficit budgétaire de près de 20% en 2015, les autorités saoudiennes – ou du moins une partie d’entre-elles représentées par Ben Salman – semblent comprendre que l’économie de rentes pétrolières sur lequel vit le pays n’est pas tenable à terme et qu’il convient de le faire évoluer sensiblement. Les annonces demain, 25 avril, revêtent un caractère important pour l’avenir du pays: aussi risquées que le sont les aventures militaires et évolutions en matière de relations internationales que celles prises ces 12 derniers mois, elles pourraient constituer, si elles sont menées à terme, des éléments autrement plus positifs pour le développement futur du Royaume.
Transformer la compagnie pétrolière Saudi Aramco en conglomérat énergétique et industriel, convertir le Public Investment Fund en véritable Fonds Souverain d’Investissement, le premier au monde par sa taille (à 2 trillions de dollars, soit l’équivalent des 4 premières capitalisations boursières mondiales), restructurer les multiples subventions publiques du pays, instaurer une TVA, un Impôt sur le Revenu, constituent autant de mesures souhaitables pour un pays qui aujourd’hui patît de lacunes structurelles dont l’absence de système éducatif performant n’est pas la moindre…
Alors que la politique saoudienne de « dumping » du prix pétrolier destinée à reconquérir des parts de marché nous a semblé vouer à l’échec dès son origine, celle visant à diversifier l’économie domestique de sa dépendance totale au pétrole nous apparaît non seulement nécessaire mais également urgente pour l’équilibre du pays et donc de la région (rappelons que le taux de chômage des jeunes du royaume figure parmi les plus élevés du monde !).
Le statu quo économique saoudien n’est pas tenable, mais son évolution est également extrêmement sensible au regard des perturbations internes et externes que la mise en place du plan de transformation entraînera… ce qui signifie que si la politique américaine de « distanciation » à l’égard du Moyen Orient est objectivement compliquée, elle offre également des perspectives. L’Union Européenne et notamment la France devraient considérer ces changements tectoniques comme autant d’opportunités géo-économiques à saisir et non uniquement comme des menaces. Leurs actions devraient accompagner l’évolution du changement de modèle économique saoudien qui au-delà des remous de court terme favorisera la stabilité de la région.