
1/ Une politique de resserrement de taux graduelle mais incertaine de la Federal Reserve en raison de deux risques potentiels…
En annonçant cette semaine un rehaussement de sa fourchette de taux directeurs à 0,25 – 0,50%, la FED a suggéré qu’elle procèderait à une politique graduelle de hausses de taux en 2016 (4 hausses de 25 points de base chacune tandis que les investisseurs en attendent uniquement deux…).
2/ Le marché obligataire « High Yield » fragilisé par le « paradoxe des liquidités »
Cette annonce, très médiatisée et attendue, de la première hausse des taux de la FED depuis juin 2006 a coïncidé avec celle, plus mineure, moins médiatisée, de la suspension des remboursements d’un fonds d’investissement américain spécialisé dans les investissements obligataires à hauts rendements (fonds dits High Yield).
Ainsi l’Histoire retiendra que cette période décennale extraordinaire en matière de politique financière, qui aura vu la mise en place d’une politique totalement hétérodoxe de la principale banque centrale au monde (augmentation record de la taille de son bilan par une politique de taux bas et d’achats de papiers obligataires), suivie par ses consœurs, aura été accompagnée, tant dans son initiation que dans sa conclusion par l’annonce, en apparence anodine, de suspension de fonds d’investissements investis en produits de taux d’intérêts.
L’incapacité d’une société américaine d’accéder aux demandes de remboursement des porteurs de parts de son fonds de 800 millions de dollars (taille de fonds réduite au regard de cette industrie) s’explique par le choix délibéré de ce gérant d’investir dans des actifs très risqués et peu liquides (70% du fonds est investi dans des obligations ne bénéficiant soit d’aucun rating soit appartenant à la catégorie des obligations dites « pourries »).
Néanmoins cet événement reflète un risque majeur des marchés financiers actuels, déjà précédemment évoqué dans cette chronique sous l’appellation de « Paradoxe des liquidités »: l’abondance de liquidités générées par les banques centrales se conjugue actuellement avec une insuffisance de liquidités sur les marchés obligataires mondiaux !
Ce paradoxe s’explique essentiellement par la quasi disparition des activités de teneur de marchés exercées jusqu’à présent par les Banques en raison du durcissement réglementaire contenu dans les réformes survenus depuis quelques années (Bâle 3, réformes touchant aux activités bancaires,…).
Dans une période de taux d’intérêt bas voir nuls, les investisseurs mondiaux ont tous adopté une politique similaire de recherche de rendements qui les ont conduit à acheter des actifs obligataires de plus en plus risqués (extension de la maturité de la duration des portefeuilles, transfert d’actifs des obligations gouvernementales des pays du cœur de l’Europe vers les pays dits périphériques, puis augmentation des investissements en obligations d’entreprises,…). L’encours total des fonds High Yield américains a ainsi atteint aujourd’hui 380 Mds $ soit le double du niveau enregistré en 2007 !
La baisse des prix des matières premières, à commencer par celle du pétrole, a fragilisé bon nombre d’émetteurs d’obligations privées risquées outre-Atlantique (producteurs de gaz de schistes par exemple…) entraînant une hausse du taux de défaut de ces émetteurs (qui se rapproche, à 3%, de sa moyenne historique de 3,6%), pour lesquels le renchérissement des taux de la FED n’est pas positif…
Les prémisses de craquements sur les marchés financiers proviendront de la sphère obligataire davantage que de celle boursière. Les obligations « High Yield » constituent l’un des deux talons d’Achille des conséquences potentielles d’une politique plus restrictive de la FED.
3/ La vulnérabilité des entreprises des pays émergents au transfert de capitaux internationaux.
Un des risques majeurs pour la FED est de déstabiliser l’économie mondiale par un renchérissement trop rapide du loyer de l’argent qui ralentirait trop sensiblement la croissance américaine d’une part et qui susciterait des transferts de capitaux internationaux brutaux avec un rapatriement des capitaux investis dans les pays émergents d’autre part.
1er constat, cette tendance semble se mettre en place: les flux de capitaux entrant dans les pays émergents ont déjà sensiblement ralenti en 2015 (+ 66 milliards versus +285 milliards en 2014 selon l’Institut for International Finance).
2ème constat, le risque est réel: depuis 2005, la dette sur PIB des pays émergents est passée de 100 à 160% !
3ème constat, à la différence des crises précédentes touchant les pays émergents, cette dette est essentiellement privée: les entreprises en représentent 90 points de pourcentage tandis que les ménages en constituent 30%. Les États détiennent 40% de cette dette totale.
4ème constat, la BRI estime que les crédits libellés en dollars hors des USA ont atteint 9 trillions sur la période 2009-2014. Ceci signifie qu’un dollar créé dans le cadre du Quantitative Easing a généré plus de 10 dollars de prêts locaux au sein des pays émergents ! Ces pays sont donc devenus extrêmement sensibles à l’évolution des taux américains et encore davantage à celle de la devise américaine…
4/ L’année 2015 aura été marquée par des événements majeurs:
- géopolitiques avec d’une part l’accord sur le nucléaire iranien et ses conséquences stratégiques, et d’autre part, la vague migratoire la plus massive observée depuis la seconde guerre mondiale aux effets multiples géo-économiques (sociaux, sécuritaires,…);
- économique avec le ralentissement sensible de la croissance chinoise et ses conséquences (matières premières, financières, …);
- financière avec l’émergence d’une divergence de politiques monétaires entre les Etats-Unis et le Reste du Monde.
Au regard des 4 constats établis précédemment, et en cette période de fin d’année, il nous reste à souhaiter que 2016 ne soit pas la première année depuis 1988 de sorties nettes de capitaux des pays émergents. Cela serait positif ni pour ces pays ni pour les principales économies du monde en raison notamment de son caractère déstabilisant.
La politique de la FED sera probablement très, très graduelle…